Les Ombres de Sylvaris - Extrait
LES OMBRES DE SYLVARIS
Par Kael Aelvaris
Prologue : L'Appel des Ombres
Le vent siffla à travers les ruines éventrées de Sylvaris, soulevant des volutes
de cendres dans l'air glacé. Chaque bourrasque portait les murmures d'un passé
oublié, des échos de voix disparues depuis longtemps, des fragments de
promesses brisées. La cité, autrefois vibrante de lumière et de vie, n'était plus
qu'un squelette de pierre et d'ombres, figé dans une attente silencieuse. Les
bâtisses en ruine se dressaient telles des carcasses noircies par le temps et le
chaos, rongées par une force invisible qui les avait lentement réduites à l'état de
vestiges. Tout semblait mort… et pourtant, quelque chose persistait.
Une présence indéfinissable pesait sur l'air, latente et insidieuse, une force
invisible qui semblait observer, tapie dans les profondeurs des ombres mouvantes.
Elara avançait d'un pas lent et mesuré, chacun de ses gestes, dicté par la
prudence. Son regard balayait les ruines, scrutant chaque fissure, à l'affût du
moindre signe de danger. Tout dans cet endroit hurlait l'abandon… mais pas le
vide. Elle pouvait encore sentir la trace de ce qui s'était joué ici. L'air vibrait d'une
énergie résiduelle, vestige d'un pouvoir ancien et incontrôlé. La cité tout entière
semblait retenir son souffle, figée dans un équilibre fragile, un instant suspendu
entre le passé et l'oubli.
Puis, une sensation étrange glissa sur sa peau, un frisson d'un autre temps,
comme une main invisible posée sur son épaule. Ce n'était pas le froid qui la
traversait, mais autre chose, un écho lointain, une impression de déjà-vu qui la fit
tressaillir. Elle s'arrêta. À la lisière de sa conscience, une voix ténue, presque
imperceptible, s'éleva dans le silence funèbre des ruines. Elle connaissait ce
timbre, ce soupir léger, ce murmure flottant entre les pierres fracassées.
Un instant, elle crut sentir la chaleur d'une fin d'après-midi sur sa peau, la
lumière déclinante baignant les rues pavées de Lirien, l'odeur du pain cuit au four,
le goût du miel sur ses lèvres, la course effrénée entre les étals du marché, les
éclats de rire, les ombres qui s'allongent et la silhouette familière de Kael,
bondissant sur le muret d'une fontaine. Son sourire. L'instant d'après, la lumière
vacilla, se mua en un crépuscule d'incendie. Les flammes dévoraient les façades,
la fumée obstruait l'horizon, le sang maculait la pierre et, au milieu du chaos, Kael
disparaissait, englouti par l'obscurité.
Elara cligna des yeux et l'illusion s'effondra.
Devant elle, les ruines de Sylvaris reprenaient leur silence oppressant. Les
souvenirs s'étaient mêlés aux ombres, piégés dans le néant d'un passé révolu.
Mais quelque chose, dans le vent, persistait.
Puis, elle le vit.
Kael se tenait au sommet de l'ancienne tour centrale, silhouette solitaire face à
l'immensité du ciel déchiré par des éclairs silencieux. Il semblait appartenir à ce
lieu autant qu'il y était étranger, comme une ombre, hésitant entre deux mondes.
Un instant, Elara crut discerner un éclat de familiarité dans sa posture, une trace
de celui qu'il avait été. Mais cette illusion se dissipa aussitôt. Quelque chose en lui
avait changé.
Le vent redoubla et un frisson parcourut Elara. Son cœur s'accéléra tandis que
son instinct hurlait une mise en garde. Quelque chose ne tournait pas rond.
Le sol sous ses pieds vibra d'abord imperceptiblement, puis de plus en plus
intensément. Un grondement sourd monta lentement. Un Portail était en train de
s'ouvrir.
Derrière Kael, l'espace se déchira en une faille béante, aspirant la lumière
alentour et sculptant dans l'air une forme tourmentée où tourbillonnaient des
lambeaux d'énergie spectrale. L'air se tordit en vagues saccadées, une onde
invisible traversa les ruines, soulevant la poussière et les cendres dans un ballet
chaotique. Une force archaïque et indomptable émanait du gouffre naissant. Le
ciel s'assombrit d'une lueur irréelle, lointaine, comme si la nuit elle-même s'abîmait
dans cet abîme naissant.
Elara recula d'un pas. Ses doigts se crispèrent sur le pendentif qu'elle portait
autour du cou. Les Trois Larmes. Elles vibraient, réagissant à l'énergie colossale
qui imprégnait l'air, mais leur lueur était faible et hésitante, comme si elles
doutaient de leur propre pouvoir face à ce qui était en train de naître ici.
Kael ne bougea pas. Il ne fit aucun geste pour se détourner du gouffre qui
s'ouvrait derrière lui. Il leva lentement la tête vers elle, son regard la transperçant
à travers la distance qui les séparait.
Une lueur étrange vacilla dans ses prunelles. Un frisson plus profond, plus
viscéral, s'insinua dans la colonne vertébrale d'Elara. Son corps tout entier lui criait
de fuir, de tourner les talons et de disparaître avant que l'inévitable ne se produise.
Mais elle ne pouvait pas. Elle ne voulait pas. C'était Kael. Son frère. Celui pour qui
elle avait bravé les ténèbres, affronté l'indicible, celui qu'elle ne pouvait pas perdre
une seconde fois. Celui qu'elle ne pouvait pas perdre une seconde fois.
L'éclat des Portails devint aveuglant. L'énergie qu'ils libéraient se referma
autour de lui comme une multitude de filaments sombres, s'enroulant autour de
son corps, s'y agrippant comme des serres invisibles. Kael ne lutta pas. Il se laissa
faire. Et Elara comprit enfin. Ce n'était pas seulement une force qui l'attirait vers
l'abîme. C'était lui qui l'acceptait.
Un cri silencieux s'forma dans la gorge d'Elara, mais il resta bloqué. Une
seconde interminable s'étira.
Puis Kael bascula en arrière, avalé par l'obscurité. Elara sentit une vague de
terreur l'envahir. Ce sacrifice, bien qu'incomplet, avait déjà commencé à marquer
son esprit. Elle réalisa que libérer Kael n'était pas simplement une question de
force ou de volonté ; c'était aussi une lutte contre les influences corrompues des
Portails, qui persistaient malgré tout.
Le choc de la réalité la frappa de plein fouet. L'énergie du Portail explosa en un
flash aveuglant, projetant des vagues de lumière noire qui se rétractèrent sur elles-
mêmes. L'espace s'effondra dans un dernier spasme, et en un battement de cil,
tout disparut.
Le silence retomba. Un silence absolu, plus terrifiant encore que la fureur qui
l'avait précédé. Elle resta figée, les poings serrés et la respiration erratique. Il était
parti. Et avec lui, l'ultime espoir qu'elle avait osé entretenir.
Le vent souffla à nouveau sur Sylvaris, emportant dans son sillage les cendres
d'un monde en train de basculer. Rien ne serait plus jamais comme avant.
[FIN DE L'EXTRAIT]
Ce document est un extrait du livre "Les Ombres de Sylvaris".
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